La photographie culinaire, un métier en passe d’être bousculé par l’IA Food Generator
Après l’engouement suscité par ChatGPT, l’entreprise Open AI vient de lancer l’outil AI Food Generator pour aider, selon son PDG Nabeel Alemgir, les restaurants à créer des photographies de plats en quelques secondes à partir d’une description formulée sur le site web du générateur. Cette description se construit à partir de 3 champs, un champ « Search » pour déterminer le plat, un champ « Background » pour choisir la couleur de fond et un champ « Style » si vous voulez opter pour un dessin ou une peinture.
Sur le papier, cette technologie, accessible d’ailleurs gratuitement, est donc véritablement une « menace » pour les stylistes culinaires et autres photographes alimentaires dont les clients sont notamment les restaurateurs. Les clichés d’AI Food Generator sont, d’après l’entreprise, uniques et libres de droit, une aubaine donc pour les restaurants qui n’ont pas les moyens de s’offrir les services d’un photographe culinaire.
À ce stade, il est légitime de douter de l’aubaine dans la mesure où la photographie culinaire doit rester fidèle au plat réellement servi par l’établissement. Comment est-il possible d’être fidèle à un plat généré automatiquement par une technologie, aussi puissante soit-elle ?
L’éthique en question
En effet, comme le rappelle Sandra VISONNEAU, styliste et photographe culinaire professionnelle, le stylisme culinaire, c’est l’art de mettre en scène une recette dans un univers propre à une marque et à un moment de la journée, à l’instar d’un petit-déjeuner, d’un goûter ou d’un dîner, et ce, avec différents types d’accessoires ou différents types de lumières, afin de sublimer l’ensemble dans un esprit recherché. Construire une image culinaire et sublimer des produits exigent bien souvent le contexte d'un studio et le respect du cahier des charges de la marque. Dans une image générée par une IA, comment s’assurer que le plat correspond effectivement bien à la prestation fournie par le restaurant, nous dit-elle ? Et, surtout, pourquoi vouloir générer des images qui ne seront, par nature, pas fidèles aux plats et ingrédients utilisés ?
Pour elle, et pour d’autres, cela pose un énorme problème d’éthique vis-à-vis des clients alors qu’il existe déjà le smartphone. Ce dernier comble déjà les besoins des professionnels qui n’ont pas les moyens financiers pour solliciter un photographe professionnel. Recourir à une IA, c’est courir le risque de déstabiliser un secteur (la restauration) puisque les plats n’auraient plus rien à voir avec l’essence même du métier, à savoir cuisiner et se différencier.
Le contexte est roi
Sur Instagram, le soin apporté aux photographies culinaires par les professionnels de la restauration est déterminant pour respecter la qualité de leur travail. Comment ne pas flouer le client à court terme si la photographie générée ne correspond plus au contexte ? Ne parlons même plus du cahier des charges ou de l’esprit recherché par une marque ou un restaurant.
Depuis son lancement le 19 janvier 2023, AI Food Generator aurait déjà généré plus de 175 millions d'images de plats. Comment ne pas tomber dans la surenchère de clichés décorrélés des contextes qui fondent l’impulsion de la décision ?
Industrialiser la photographie culinaire, voilà encore une lubie des startups qui n’ont pas compris que la photographie culinaire ou alimentaire est une alchimie entre un regard artistique, un éclairage audacieux et une maîtrise du numérique. Loin d’être « anti-moderne » ou « anti-innovation », Sandra VISONNEAU pose la question du « pourquoi » et de la raison d’être. Pourquoi générer des clichés qui ne reflètent pas votre « art » ou passion culinaire ?